mardi 18 novembre 2008

Terminal

Last call. La voix anonyme brise le silence des après-midi mortes de septembre. Dernier appel. D’un coup, les pas perdus s’emparent du hall et cisèlent les longues entailles de soleil striant le terminal. Ils piétinent, s’égarent un moment et, orchestrés par cette voix sans visage, s’engouffrent dans les mâchoires automatiques des portes d’embarquement. Alors seulement la poussière peut se remettre à scintiller dans la lumière ocrée d’automne. La voix ne chante que pour les rêveurs de départs.

The passengers travelling to Atlantic City please proceed to gate thirteen. Les étapes sont simples. Taxi, hall, gate 13, autocar, taxi, hotel, océan. Simple suite logique.

Mais mardi n’est pas une bonne journée pour partir. Ni pour arriver. Atlantic City ne fait pas rêver. Pas plus que Sainte-Foy ou Ottawa. Entre les rares appels aux départs et les quelques roulements de valises, le grincement de l’escalier roulant emplit tout l’espace. Si l’on abaisse momentanément notre vigilance, si l’on ferme brièvement les yeux, le gémissement mécanique qui paraissait grave et régulier se met alors à striduler, oscillant sans fin contre les tympans. Entraînant le corps dans la bascule, le son se répercute du front au dos de la tête. Les yeux toujours fermés, le tronc se balance au rythme des marches de métal qui défilent et hurlent.

- Pouvez-vous garder ça pendant que je passe au dépanneur ? J’ai les bras en compote.

La voix aigrelette d’une vieille dame brise le magnétisme sonore. Blanche des chaussures jusqu’aux bouts des ongles, elle tourne déjà le dos, trottinant vers le dépanneur de la gare, laissant ses valises choir sur le plancher faussement marbré. Les gens abandonnent si facilement leurs possessions. De toute façon, le vol de bagages, cela n’arrive qu’aux autres. Portefeuille au cuir craquelé, billets d’autocar aller-simple, trousse de soin des ongles, le butin serait pourtant riche. Mais, elle revient bien vite, précédée d’une toux de
fumeuse aguerrie, et s’assied minutieusement sur le simili cuir du siège. Le vol sera pour plus tard, lorsque, attendant son fils en retard au rendez-vous, elle se sera assoupie quelques instants. Pour le moment, absorbée par le billet de loto qu’elle vient d’acheter, elle grommelle entre ses dents.

- Stealer. Maudit stealer… voleur. Mes trois cennes. Sont à moi. Voir que je l’aurais laissé se mettre mes cennes dans les poches.

À petits coups secs, elle gratte les cases, ses doigts balayant méthodiquement les rognures. Elle relève la tête. L’incartade du commis de dépanneur est déjà oubliée. Tous les carrés ont été proprement dévoilés.

- Eille, j’ai un billet gratis ! Je joue pas souvent à ces affaires là. C’est l’fun.

Elle ne dupe personne. Elle sort trois autres tickets de son sac à main –blanc – et se remet à jouer. C’est une habituée. Les débris s’accumulent en flocons légers sur ses pantalons. Ses mains s’agitent, fébriles devant les espaces demeurant encore intouchés.

Les passagers en route vers Saint-Adèle, Mont-Tremblant, Val-Morin sont priés de se présenter à la porte trois.

Toutes les rognures tombent d’un seul coup sur le sol. Elle agrippe ses deux valises blanches d’une main et, ses billets de loto dans la seconde, traverse d’un seul coup la pièce, faisant danser la poussière, heurtant au passage quelques pas encore perdus dans l’après-midi.

Qui êtes-vous ?

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On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.