lundi 8 novembre 2010

dimanche 7 novembre 2010

Je n'ai pas voulu que tu me vois feuilleter tes vieux albums. Tu ignores toujours que j'ai profané tes fantômes. Je me suis cachée pour respirer l'odeur de la vieille colle.
Elle lui ramène le vélo à la réception de l'hôtel comme à chaque après-midi. Elle a les cheveux emmêlés par le vent de la côte. Le pull noué autour de sa taille fait bailler son chemisier. Il lui dit merci. Elle lui dit merci. Il ajoute à demain peut-être.


Il lui dit si tu veux je te montre à quoi ressemble la vrai côte bretonne l'indocile la furie La Sauvage. Elle n'est pas impressionnée. Elle connait les eaux mordantes de la Mer du Nord. Elle lui répond demain peut-être.
ne revenez pas les arbres ont grandi il ne reste rien de votre enfance ils encerclent maintenant la maison et je ne parviens plus à me rappeler les plaines du Zaïre
On a dérangé la petite fille dans sa lecture. Elle tient sur ses genoux une bande-dessinée ouverte. Quick et Fluke préparent un mauvais coup et l'agent surveille de près les deux garnements. La petite fille a le sourire figé. Elle se tient trop droite sur sa chaise. On lui aura semoncé de se redresser pour la photographie. Au verso, R. Dupont Photographe 54, Avenue Emile Max Schaerbeek 1962 aura orchestré cette mascarade.

vendredi 5 novembre 2010

La noce

Le noir de son complet à lui le blanc de sa robe à elle le grège que l'on sait blond de ses cheveux à lui le charbon que l'on sait châtain de ses cheveux à elle dessinent à l'image de leurs bras enlacés la variable inconnue de la photographie.

jeudi 4 novembre 2010

Tu aimes t'asseoir sur la chaise d'osier près de la fenêtre quand tu téléphones. Tu écartes les stores avec ta main libre parce que le contact froid du plastique entre tes doigts t'apaise. Tu arques la nuque pour regarder les gens marcher sur le trottoir. Tu croises les jambes et ta jupe remonte sur tes cuisses et tu me montres ta culotte.
Quand tu me téléphonais, l'automne 1978, j'aimais m'asseoir à la grande fenêtre du salon. Il fallait que je tende tout à fait le fil de l'appareil pour y parvenir. Une fois le combiné coincé entre mon épaule et mon menton, j'étirais la jambe pour attraper la chaise d'osier du bout du pied. Concentré à ne pas laisser choir le téléphone et à ne pas exercer une tension trop grande avec mon corps, ce qui aurait débranché la ligne téléphonique, je n'entendais jamais réellement tes premières paroles. Ce n'est qu'une fois calée en indien, ma jupe se soulevant sur mes cuisses croisées, que je t'écoutais me raconter les nouvelles de là-bas. J'aimais te parler assises devant la fenêtre donnant sur la rue Côte Sainte-Catherine. T'entendre me dire ces lieux et ces gens qui étaient encore moi alors que je regardais vivre ces lieux et ces gens qui devenaient moi me permettait de conjuguer le choix de mon départ au présent. Je parlais peu. Je préférais le son de ta voix, inconstante quand tu t'affairais à préparer le repas du soir ou reposée quand tu téléphonais depuis le poste accroché au-dessus de ta machine à coudre. Parfois, papa ou Paul te volaient le temps d'une question, me saluant en différé. J'attendais que tu me reviennes. Tu me rappelais inévitablement que Alain rentrait à la maison pour Noël. Nous serions tous les sept. Au fil de tes appels, l'érable du voisin rougissait. Ton dernier appel a été à la fin d'octobre. Je n'ai jamais vu l'arbre dénudé de ses feuilles. Cette fois-là, je n'ai pas pensé à aller m'asseoir à la fenêtre du salon. Il était quatre heures du matin. J'ai très bien entendu tes premières paroles. Paul ne serait plus là pour Noël.

samedi 30 octobre 2010

L'homme est sorti en claquant la portière. Il n'est déjà plus dans son rétroviseur qu'une mince ligne parmi les hauteurs assourdissantes des ormes. L'autre ira seul au mariage. Il n'a pas eu le temps de le mettre en garde contre les orties qui poussent au bord des chemins de Bretagne. Ce soir, il le rejoindra dans le lit et devra masser les piqûres qu'il se se sera faites aux chevilles et peut-être aux mains avec du vinaigre blanc à l'odeur âcre qu'il aura demandé à la réception de l’hôtel. Pourquoi refuses-tu de comprendre que les Églises ne veulent pas de nous?


jeudi 21 octobre 2010

La communiante se tient debout à la gauche de sa mère. Ses mains gantées présentent pieusement une bible à l'obturateur et son voile, retenu par une couronne de marguerites, s'est légèrement emmêlé dans ses boucles. La cadette, posée sur les genoux de la mère, fronce les sourcils. Ses bas blancs ont glissé sur ses chevilles. Il faudra les remonter. Derrière, le père et le fils aîné tournent leur tête vers la droite, souriant à je ne sais quelle apparition.
Quand il revient dans la cuisine pour lui demander une cinquième fois si c'est l'heure de ses cachets, elle ne dit rien. Il s'approche d'elle et lui promet un je t'aime tu sais pour la cinquième fois.
Nombreuses seront les saisons avant que vienne celle qui pourra ouvrir les portes de la chambre du fils. Elle sera de si loin qu'elle ne saura ni l'accident ni le vide au ventre ni l'ocre et le pourpre le jour de l'enterrement. Incapable de mémoire elle n'aura pas appris le silence. Seulement alors les mots enfouis sous l'édredon fuiront-ils par les pans de mur dans le fracas des photographies qui éclatent contre le sol.

vendredi 1 octobre 2010

tu vas mourir alors est-il encore indécent d'écrire que l'été où j'ai remarqué l'argenté de tes temps j'ai eu envie de toi l'été où tu m'as offert en cadeau d'anniversaire un pendentif d'or parce que l'or c'est joli sur la peau des jeunes fille

mercredi 29 septembre 2010

Tes papiers militaires me taisent l'horreur des tranchées. La chair de ma chair, amputée. Pardonne-moi. J'ai oublié. Je n'ai jamais su. Je suis née trop tard. Je suis née trop loin. Encombrée d'un bras gauche qui ne sait qu'inventer ton présent.

À un certain moment, tu verras, ils ne sauront ni ton côté de l'Atlantique ni le mien. L'embrun n'aura pas terni leurs aubes d'enfant. Tu auras beau leur raconter les châteaux de sable aux douves éphémères et le noir de l'eau la nuit qui donne presque l'envie d'aller s'y.
Leurs rivages seront de forêts et de terres arables. À un certain moment, tu verras, nos enfants ne sauront plus qui ils sont.

jeudi 23 septembre 2010

Quand les Bretonnes mettent les pieds à l'eau le large n'est déjà plus fait d'horizon. Elles disparaissent, étales sur l'océan, devenues les courbes du ressac qui fera trembler à marée montante les maisons aux pierres endormies.
Les photographies doivent redevenir métaphores. Qu'elles ne se contentent pas de se tenir là, passives, mais qu'elles se fassent récit en devenir.

mercredi 1 septembre 2010

le matin du départ elle a oublié l'odeur de terre séchée sur leurs joues elle les a réveillés d'une serviette d'eau froide sur le visage les a lavés de leurs souvenirs de demain
.
elle ne les borde jamais avec des histoires elle dessine pour eux un avenir sans mémoire mais comme elle n'a que ses souvenirs au travers de la gorge elle se tait ferme l'interrupteur les enfants supplient papa raconte-nous le Congo, toi
.
les matins où ils sont tous partis pour l'école elle se rendort parfois au jardin le transat sous le lilas les pieds au soleil elle se rappelle les crépuscules brûlants de Kinshasa
tu quittes les terres qui t'ont vu naitre tu n'es déjà plus de ces boisées humides de ces falaises invitantes les garçons ne deviennent jamais des hommes en Bretagne tu pars vers l'autre côté où il est encore possible d'apprendre ne reviens que lorsqu'il n'y aura plus que les éoliennes sur la lande.

samedi 24 juillet 2010

les vieilles photos n'ont plus le goût des jours fastes
Les lourdes journées d'été gardaient le sable collé à ma peau, tu aimais y dessiner des kilomètres de routes imaginaires sur lesquelles nous aurions pu, mais nous restions là nous n'avons jamais, même qu'au moment des courses de brouette le long du rivage, je refusais de faire équipe avec toi.

samedi 3 juillet 2010

tu me laisses bêcher la terre en silence tu pars au loin ta lettre aux moissons prochaines m'avoue que les vignes poussent même à Montréal
Le ronronnement des tracteurs la réveille comme tous les samedis matins. Son père déteste s'occuper de sa pelouse, il préfère la confier à des professionnels de votre jardin depuis 1982 et lire le journal sur la véranda. Assise en tailleurs sous la couette, lentement elle s'étire, faisant gémir les vertèbres du haut de son cou. Elle se lève et écarte les lourds rideaux. En bas, trois employés s'affèrent. L'herbe est encore longue au bas de sa fenêtre. Ils vont venir. Elle soulève sa robe de nuit et colle ses seins, son ventre, son sexe à la vitre.
nous espérions encore l'été aux derniers soubresauts de septembre tu m'as soufflé les oies sauvages partent en exil je ne me souviens plus des grandes chaleurs

dimanche 27 juin 2010

tu as oublié le creux que ça t'a fait entre les côtes lorsque tu as entendu la voix de ton père hésiter une seconde de trop au téléphone tu ne te rappelles plus que la première chose à laquelle tu as pensé après qu'il t'ait annoncé la mort de ton frère est que tu n'avais pas fermé les fenêtres de la voiture et qu'il commençait à pleuvoir tu n'as aucun souvenir de la robe que tu as porté le jour de l'enterrement ni du coeur saignant que tu as accroché à ta boutonnière tu ne sais plus rien mais tu me racontes quand même comment fais-tu maman
quand tu iras au bal de la commune voudras-tu porter le bracelet que je t'ai fabriqué je sais le cuir irrite ta peau mais je crains les mains des autres hommes autour de ta taille je t'en prie noue-le à ton poignet comme aux beaux jours de nos promenades sur la lande tes bras se balançaient à la cadence des miens

vendredi 4 juin 2010

La Renault 5 était restée derrière. Tu rouspétais que si je t'avais écouté, nous n'en serions pas là, mais c'était surtout pour la forme. Au fond, ça te plaisait bien, à toi aussi, d'arriver en retard au mariage. Avant d'entrer au village, tu m'as dit :" Tiens ma guitare, je vais me rouler une clope."
Je n'irai plus me blottir sous les hydrangés de ton jardin. Ils sont malades. Leurs lourdes têtes fleuries ne courbent plus les tiges vers le sol et il n'est plus besoin de ramper contre la pierraille pour s'y glisser. Elles ont été décimées et se dressent, trop légères, vers le soleil au zénith. Que le bourreau face son office et que tu te réveilles enfin au milieu des ruines de leurs racines desséchées.

samedi 15 mai 2010

La petite fille court autour de la maison. Elle ne doit pas longer les murs ni les buissons de houx qui les bordent. Il faut qu'elle fasse le grand tour, qu'elle frôle les branches basses des pruches près de la route. Il est interdit de réduire la cadence. Ce n'est pas un jeu. Le jeu a pris fin lorsque la balle qu'elle n'avait pas le droit de lancer à l'intérieur de la maison a raté sa course et a percuté le masque africain que son père avait reçu en cadeau pour avoir sauvé la vie du fils d'un illustre homme politique d'elle ne sait plus quel pays. Le jeu est terminé. Elle paie sa dette. Un tour du grand jardin pour chaque morceau du visage en acajou mutilé.
tu as croisé les jambes tu croises toujours tes jambes lorsque tu étudies et parfois si tu es très concentrée tu ramènes la jambe gauche sur la droite ton corps se penche alors encore plus vers l'avant tes seins s'écrasent contre la table ton nez frôle tes notes de cours mais je n'en vois rien ton dos arrondi avale tout seules les plantes rosées de tes pieds dépassent de chaque côté de ton bassin elles sont jaunies par endroit c'est l'été tu commences à avoir de la corne tu détestes avoir de la corne sous les pieds
Le vent prend la voile tes jointures blanchissent sous l'effort tu ramènes la barre vers nos corps je n'ose pas imaginer toute ta peau sur la mienne si nous n'avions pas mis nos gilets de sauvetage. Tu me murmures garde la position ton haleine salée sur ma nuque tes genoux fléchis dans les miens. La planche tangue j'ai peur de tomber dans les pinces des crabes de la Chesapeake Bay. Je délie mes doigts séquestrés des tiens. Je m'en remets à toi.

dimanche 9 mai 2010

Quand j'allais me tapir près de la grande armoire blanche dans la pénombre des stores tirés qui isolaient des chaleurs de canicule d'été, j'avais toujours l'impression de pénétrer dans un sanctuaire bien gardé. Posant les pieds doucement sur le bois franc pour ne pas que tu entendes les lattes craquer au sous-sol où tu faisais toujours la lessive du dimanche après-midi, je m'avançais vers le fond de la chambre et tendais la main vers la poignée de droite, celle qui était craquelée je n'ai jamais su pourquoi mais j'aimais me dire que c'était arrivé lors d'une de vos engueulades. J'étais tranquille pour une heure. Tu allais toujours suspendre le linge au jardin. Alors, je sortais tous les albums, un à un. La couverture du grand rouge, celui où l'écriture enroulée de Bonne-maman avait écrit depuis juin 72 jusqu'à juin 76, était toujours collée à celle du bleu, où ton nom était inscrit, suivi de depuis ses 11 ans jusqu'à ses 15 ans mars 68-juin 72. Je les séparais en insérant mon index et mon majeur entre les couvertures. Ça craquait un peu. Assise à même le sol, je faisais des piles. J'avais mes préférés. Je n'aimais pas les albums les plus anciens. Les photographies y étaient trop petites. Maintenant, c'est différent. Je n'ai plus peur d'y chercher des secrets, aussi minuscules soient-ils. Durant ces dimanches après-midi, ce que je préférais, même plus que le bruissement des encarts de papier ciré entre les pages pour ne pas que les photos s'altèrent entre elles, c'était de trouver des clichés de toi portant toutes ces robes qui reposaient désormais dans le gros panier d'osier avec mes autres déguisements. Je savais qu'après, quand j'aurais replacé les albums dans l'armoire dans une pyramide savante les empêchant de s'écrouler, j'irais dans la pièce du fond, celle sans fenêtre, et je jouerais à être toi.

lundi 3 mai 2010

Quand j'ai refermé la boîte de pralines, j'ai compris que tu m'en voulais. Je n'ai pas su t'expliquer que je trouvais obscène de manger le dernier chocolat.
Tu sais combien la grande porte de garage me terrifie. Toi, tu n'écoutes pas les historie de mécanismes détraqués, de corps coincés, de jambes sectionnées que me raconte maman quand je m'en approche un peu trop. Tu n'as pas peur, toi, d'appuyer sur l'interrupteur interdit et de traverser le garage à la course, frôler d'un instant le pan métallique descendant et la mort par aplatissement. Tu es sûr de toi. À onze ans, tu ne peux plus mourir. Alors tu places ma poupée sur le sol, juste dans l'axe de la porte. Tu es fin stratège. Tu attends, tapi près des lourdes roues de la voiture de papa, l'odeur d'essence t'enivrant juste suffisamment, tu attends que j'aille la chercher. Et une fois que je serai sous l'ombre du couperet, tu appuieras, tu me forceras à bondir de l'autre côté de la frontière indicible où le béton froid du garage se morcelle en gravier glissant. Tu sais combien la grande porte m'effraie. Ça te fait rire. Mais tu ne sais pas combien j'ai peur du jardin et de ses maigres pruches qui, au crépuscule, deviennent complices des choses qui pourraient me faire du mal.

samedi 1 mai 2010

Les accoudoirs étaient légèrement inclinés, afin qu'il soit plus facile de blottir la tête d'un enfant entre le sein et le creux du coude. Les lattes de bois, arrondies, massaient le dos à chaque balancement. La femme l'avait eue pour seulement trente dollars. Une aubaine dénichée durant ses matinées à fouiner les ventes de garage du quartier. Lorsqu'elle était entrée, sa fille lui avait tenu la porte-arrière, que le large ressort de métal empêchait de garder ouverte. Pour quand tu auras des enfants. Regardant la chaise berçante, maladroitement posée au milieu du salon déjà trop encombré, sa fille ne sut pas si la chose qui la brûlait dans l'oesophage était une envie de détruire la chaise à la hache ou d'y retourner, minuscule, contre les genoux de sa mère, alors que c'était encore possible de ne pas parler.

jeudi 29 avril 2010

Il y de ces photos qui ne bougent plus. À force d'être reproduites, agrandies, encadrées, elles ne disent plus rien. À trop les aimer, nous les avons éteintes.

lundi 26 avril 2010

l'odeur de la colle me donne envie d'éternuer quand tu tournes les pages de l'album trop près de mon visage tu vas trop vite tu ne cherches qu'une seule photo tu n'as rien à faire des autres tu cherches celle où la route m'avale tellement elle est longue de par devant et de par derrière et moi j'y suis tellement petite je n'avais que quatre ans tu me dis en tournant les pages deux à deux ton index les scindant un court instant la photo n'y est pas et moi j'approche davantage mon visage j'entends la reliure d'anneaux métalliques gémir quand tu tournes les pages des manteaux des sourires des lignes d'horizon que je n'ai pas connus

samedi 17 avril 2010

On l’a oublié au fond du jardin. Son paletot est lourd de pluie et de honte. À l’intérieur, on sert l’apéro. Du gravier et des gouttes de pluie percent ses yeux d’enfant levés vers les hauts murs qui se referment sur lui.

dimanche 21 mars 2010

il l’avait embrassé pour la première fois avant la messe du mercredi des cendres la nef déserte leurs parent sur le parvis leur lèvres innocentes ce n’était pas encore carême il me racontait cette histoire à l’heure où elle remontait ses lourds cheveux en chignon le lait démaquillant sur sa peau qui sentirait la lavande jusqu’au lendemain
ses paumes ouvertes le poids des dictionnaires empilés sur ses bras tendus la brûlure du tapis sur ses genoux ça t’apprendra lui dit-il tourner le visage vers la fenêtre espérer qu’il neigera encore demain
écailler l’écorce devenir pruche le temps d’un jeu et gagner au prix du ventre écorché dans l’étreinte déraisonnable entre l’arbre et l’enfant ne pas remuer la tête empêcher le vent de s’emparer des mèches brunes prêt pas prêt j’y vais les pas se rapprochent se ronger les ongles le goût de la résine au fond de la gorge
tu me tires vers toi l’immensité du ciel se rétrécit quand je me penche vers toi la ligne d’horison bascule et je tombe encore vers toi bientôt l'immensité du champ dans les yeux je ne verrai plus que l’herbe rouillée du dernier printemps

jeudi 4 mars 2010

Audrey

Le long boa de plumes écarlates git, disloqué sur la chaise. Entre les stores d’aluminium, le soleil de midi perce et se coule en stries horizontales de la nuque au début concave des reins d’un homme qui dort, voluptueusement. Une de ses jambes émerge hors des couvertures, imbère. Le radio-réveille grésille depuis déjà quelques heures et le bruit du dehors se mêle à l’enfilade de chansons pop. L’homme grogne, renifle. Il se retourne lourdement, faisant glisser les draps de faux satin sur le plancher. Les bras en croix, les jambes déployées à travers le grand lit, il offre son sexe, dressé, à la nudité de la chambre.

Une chasse d’eau se fait entendre. Des gargouillis visqueux roulent entre les murs, le long de la tuyauterie, puis s’estompent. La porte s’ouvre. La lumière crue de la salle de bain déchire la pénombre dorée, noie le corps endormi. Sur le sexe des veinules se devinent maintenant. Des ecchymoses parsèment son haine, et des cicatrices ses bras ouverts.

« Mark, réveille-toi. Il est passé midi »

Appuyé contre le bois fatigué du cadre de porte, l’homme contemple un moment le corps offert à lui et se dirige vers la fenêtre, se grattant le bas du dos.

« Fuck, qu’esse qu’elle fait par terre? »

Il se penche et ramasse la perruque noire qui s’étant emmêlée entre ses orteils. Délicatement, il la pose contre sa paume et, de son autre main, lui redonne sa forme Audrey Hepburnienne et la replace soigneusement sur la tête-mannequin. Puis, d’un large mouvement de bras, il relève les stores.

Le soleil lui percute le visage. Le mascara de la veille s’est accumulé dans sillons des rides que le fond de teint ne colmate plus. La ligne de sourcil tracée au crayon a coulé et les poils épilés repoussent déjà sous l’épiderme. Les trois couches de pinkplum posées sur les lèvres hier soir se sont étalées sous le nez et sur le menton, en un sourire de clown triste. L’homme se retourne, offre ses omoplates cassantes à la lumière. Du bout de l’orteil, il envoie rouler sous la commode le petit contenant de plastique prescrit la semaine passé et qui repose, encore intouché, près du réveil.

Il franchit les deux pas le séparant du lit et s’assoit contre le flanc chaud de l’homme.

« Come on, Mark, faut que tu t’en ailles »

Il ramasse le drap et, de son poing enrobé du tissu soyeux, il caresse le sexe, toujours bandé. Le corps se tend, les bras remontent près de la tête, le dos s’arque, les orteils se crispent. L’homme ouvre les yeux. Alors la main relâche sa pression, caresse encore un peu mollement puis se retire.

- Ah, come on, don’t stop !

- C’est clairement la seule façon de te faire lever. Maintenant que t’es réveillé, je vois pas pourquoi je continuerais.

- You didn’t seem to mind yesterday, si je me rappelle bien.

- Habille-toi au lien de dire des conneries. Pis décolle, je dois me préparer pour ce soir.

Il lance lui ses jeans et sa chemise au visage, s’allume une cigarette.

- Please, Dan, don’t smoke. You know I can’t stand it.

- Justement. Tu vas ptête décrisser plus vite comme ça. Pis je t’ai dit de pas m’appeler de même.

- Oh please. Je veux bien t’appeler Leïla quand tu fais ton show, mais comme ça, with all your make-up fuck up, you look more like a Daniel to me. And not a very pretty one.

- Ferme-là.

- Fine, my love, I’ll do that.

Il se roule au bord du lit et, dans son insolente nudité, se dirige vers la salle de bain. Au passage, il agrippe la tête-mannequin. L’autre se lève si vite que son peignoir se détache, mais Mark s’est déjà enfermé dans la salle de bain.

- Fuck, Mark, sors de là ! Pis joue pas avec elle, m’a coûté une fortune !

La voix lui parvient très nettement à travers la porte :

- I don’t really care, Dan. Ça va être fabulous sur ma tête, once I give her a light haircut.

- Mark, criss, ouvre !

Il a beau hurler et hurler encore d’ouvrir la porte, seul le crachotement du robinet lui parvient. Même des murmures étouffés venant de l’appartement adjacent se font entendre. Mais de l’autre côté de la porte, rien. Il enfonce ses poings contre le chambranle et colle son visage tout contre le bois.

- Ouvre, sinon, j’te le jure, je vais t’éclater ton joli petit cul tellement fort que tu vas rêver de retourner te faire enculer par ton père dans ton criss de sous-sol brun pis après je vais me faire un plaisir de t’éclater ta jolie petite tête contre ma céramique cheap et je vais te regarder saigner du cul, pis saigner du front et je vais trouver ça ben beau.

Des écailles de peinture s’accrochent à sa langue, se mêlent à sa salive. Ça goute le mégot refroidi. Il se blanchit un peu plus les jointures à chaque phrase.

- Et si t’a osé toucher à un cheveu de sa tête, je vais tous te les faire bouffer, un par un, bien enrobés dans ta merde parce que, let’s face it, si t’as un peu idée de la connerie que tu viens de faire, t’as déjà chié dans tes culottes depuis longtemps.

Une sirène traverse le boulevard. Il assène un coup de poing sur la porte en poussant un juron. Le nerf sous son œil gauche tressaille. Il doit se calmer. Il agrippe un petit panier d’osier sur la commode. Dans la force du geste, les pots de vernis à ongles s’y trouvant s’entrechoquent en un tintement froid. Longtemps, il fouille, écartant rageusement du bout de l’ongle ou du dos de la main une couleur puis une autre, ne quittant pas l’entrée de la salle de bain du regard.

Puis un bruit de verre brisé se fait entendre. Daniel s’immobilise, incertain. Mais les vernis sont intacts. Il se rue sur la porte et alors, c’est comme si un miroir complet s’était échoué sur le plancher de la toilette.

- Mark, espèce de cave, qu’esse que tu criss ? Je vais te tuer pour vrai si t’ouvre pas tout suite, tu vas regretter de t’être manqué le mois passé.

Le front collé à la porte, Daniel ne remarque pas immédiatement le sang qui filtre sous la porte, gorgeant les fissures du plancher. C’est la chaleur moite sous ses orteils qui le fait réagir. Il s’empare du téléphone. Ses doigts pianotent sur le combiné. Du talon, il abaisse le volume du radio-réveil. On annonce une température exceptionnellement clémente pour la soirée.

« Eille, salut, c’est moi. Ouais, ça va, pis toi, remis de la soirée ? Ah, oui ? Ok, bonne idée, comme ça Joël pourra pas chialer. Je vais arriver d’avance tantôt, mais attend, t’as-tu besoin de ta Marylin à soir ? Ouais, j’ai eu un fuck avec ma Audrey, j’te conterai ça. Ok, j’t’en devrai une. »

Il repose l’appareil sur la commode. D’un mouvement d’épaule, il enlève sa robe de chambre. Après avoir repoussé toutes les couvertures en un tas difforme au coin du lit, il s’assoit. Il croise les jambes. Du gros orteil, il remonte le volume de la radio et le succès de l’été passé emplit la pièce. Il s’allume une cigarette en murmurant les paroles, le pied battant la mesure.

dimanche 28 février 2010

comment dire ton image si les mots me manquent dès que ta langue les pose sur le bout de
la mienne
quand les mots manquent les photographies ne veulent plus rien dire
nos albums flambent

samedi 27 février 2010

les autoroutes rouges sur la carte filent toujours plus vers le haut tu me tires loin tu me décentres les miles s’amoncèlent barricadent notre fuite
les fantômes qui avant nous ont usé ces routes me dessinent des fresques sur la fenêtre embuée de la voiture je suis le bout de leur doigts pensant qu’ils n’auraient pas dû nous faire revenir ici

jeudi 11 février 2010

je voudrais te dire n’y va pas mais tu as déjà dépassé le fast-food presque atteins les cartes postales les cartes routières les aimants-souvenirs tu y es la porte des toilettes publiques
reviens-moi
les buissons se font rares sur le bord de l’autoroute rasés pour réduire le risque de collision un chevreuil pourrait s’y cacher personne n’a pensé que j’aurais besoin d’aller à la toilette alors les pneus crissent et accroupie tu me dis relève un peu plus ta jupe tu me prends en photo et je te tire la langue

Qui êtes-vous ?

Ma photo
On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.