samedi 15 mai 2010

La petite fille court autour de la maison. Elle ne doit pas longer les murs ni les buissons de houx qui les bordent. Il faut qu'elle fasse le grand tour, qu'elle frôle les branches basses des pruches près de la route. Il est interdit de réduire la cadence. Ce n'est pas un jeu. Le jeu a pris fin lorsque la balle qu'elle n'avait pas le droit de lancer à l'intérieur de la maison a raté sa course et a percuté le masque africain que son père avait reçu en cadeau pour avoir sauvé la vie du fils d'un illustre homme politique d'elle ne sait plus quel pays. Le jeu est terminé. Elle paie sa dette. Un tour du grand jardin pour chaque morceau du visage en acajou mutilé.
tu as croisé les jambes tu croises toujours tes jambes lorsque tu étudies et parfois si tu es très concentrée tu ramènes la jambe gauche sur la droite ton corps se penche alors encore plus vers l'avant tes seins s'écrasent contre la table ton nez frôle tes notes de cours mais je n'en vois rien ton dos arrondi avale tout seules les plantes rosées de tes pieds dépassent de chaque côté de ton bassin elles sont jaunies par endroit c'est l'été tu commences à avoir de la corne tu détestes avoir de la corne sous les pieds
Le vent prend la voile tes jointures blanchissent sous l'effort tu ramènes la barre vers nos corps je n'ose pas imaginer toute ta peau sur la mienne si nous n'avions pas mis nos gilets de sauvetage. Tu me murmures garde la position ton haleine salée sur ma nuque tes genoux fléchis dans les miens. La planche tangue j'ai peur de tomber dans les pinces des crabes de la Chesapeake Bay. Je délie mes doigts séquestrés des tiens. Je m'en remets à toi.

dimanche 9 mai 2010

Quand j'allais me tapir près de la grande armoire blanche dans la pénombre des stores tirés qui isolaient des chaleurs de canicule d'été, j'avais toujours l'impression de pénétrer dans un sanctuaire bien gardé. Posant les pieds doucement sur le bois franc pour ne pas que tu entendes les lattes craquer au sous-sol où tu faisais toujours la lessive du dimanche après-midi, je m'avançais vers le fond de la chambre et tendais la main vers la poignée de droite, celle qui était craquelée je n'ai jamais su pourquoi mais j'aimais me dire que c'était arrivé lors d'une de vos engueulades. J'étais tranquille pour une heure. Tu allais toujours suspendre le linge au jardin. Alors, je sortais tous les albums, un à un. La couverture du grand rouge, celui où l'écriture enroulée de Bonne-maman avait écrit depuis juin 72 jusqu'à juin 76, était toujours collée à celle du bleu, où ton nom était inscrit, suivi de depuis ses 11 ans jusqu'à ses 15 ans mars 68-juin 72. Je les séparais en insérant mon index et mon majeur entre les couvertures. Ça craquait un peu. Assise à même le sol, je faisais des piles. J'avais mes préférés. Je n'aimais pas les albums les plus anciens. Les photographies y étaient trop petites. Maintenant, c'est différent. Je n'ai plus peur d'y chercher des secrets, aussi minuscules soient-ils. Durant ces dimanches après-midi, ce que je préférais, même plus que le bruissement des encarts de papier ciré entre les pages pour ne pas que les photos s'altèrent entre elles, c'était de trouver des clichés de toi portant toutes ces robes qui reposaient désormais dans le gros panier d'osier avec mes autres déguisements. Je savais qu'après, quand j'aurais replacé les albums dans l'armoire dans une pyramide savante les empêchant de s'écrouler, j'irais dans la pièce du fond, celle sans fenêtre, et je jouerais à être toi.

lundi 3 mai 2010

Quand j'ai refermé la boîte de pralines, j'ai compris que tu m'en voulais. Je n'ai pas su t'expliquer que je trouvais obscène de manger le dernier chocolat.
Tu sais combien la grande porte de garage me terrifie. Toi, tu n'écoutes pas les historie de mécanismes détraqués, de corps coincés, de jambes sectionnées que me raconte maman quand je m'en approche un peu trop. Tu n'as pas peur, toi, d'appuyer sur l'interrupteur interdit et de traverser le garage à la course, frôler d'un instant le pan métallique descendant et la mort par aplatissement. Tu es sûr de toi. À onze ans, tu ne peux plus mourir. Alors tu places ma poupée sur le sol, juste dans l'axe de la porte. Tu es fin stratège. Tu attends, tapi près des lourdes roues de la voiture de papa, l'odeur d'essence t'enivrant juste suffisamment, tu attends que j'aille la chercher. Et une fois que je serai sous l'ombre du couperet, tu appuieras, tu me forceras à bondir de l'autre côté de la frontière indicible où le béton froid du garage se morcelle en gravier glissant. Tu sais combien la grande porte m'effraie. Ça te fait rire. Mais tu ne sais pas combien j'ai peur du jardin et de ses maigres pruches qui, au crépuscule, deviennent complices des choses qui pourraient me faire du mal.

samedi 1 mai 2010

Les accoudoirs étaient légèrement inclinés, afin qu'il soit plus facile de blottir la tête d'un enfant entre le sein et le creux du coude. Les lattes de bois, arrondies, massaient le dos à chaque balancement. La femme l'avait eue pour seulement trente dollars. Une aubaine dénichée durant ses matinées à fouiner les ventes de garage du quartier. Lorsqu'elle était entrée, sa fille lui avait tenu la porte-arrière, que le large ressort de métal empêchait de garder ouverte. Pour quand tu auras des enfants. Regardant la chaise berçante, maladroitement posée au milieu du salon déjà trop encombré, sa fille ne sut pas si la chose qui la brûlait dans l'oesophage était une envie de détruire la chaise à la hache ou d'y retourner, minuscule, contre les genoux de sa mère, alors que c'était encore possible de ne pas parler.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.