mercredi 2 décembre 2009

tu as la neige qui coule sous les yeux de mon pull qui est encore trempé tu n’avais qu’à ne pas enfouir ton visage dans mes bras tu voulais tant des croissants mais il neigeait tu m’as dit vas-y quand même assise en indien sous les draps et je suis allé dans Montréal qui neigeait alors la neige fondue se dessine en affluents aux commissures de ton visage

lundi 16 novembre 2009

Septembre 64

Elle colle sa main à la fenêtre. Le froid lui chatouille l’intérieur de la paume. Dehors, les sapins défilent tellement vite qu’ils se fondent en une palissade verte, scindant éternellement le ciel de la terre. C’est dimanche. Sa main se décolle, la moiteur de sa paume reste inscrite sur la vitre en de multiples sillons. La voiture fait une légère embardée sur la droite, sa sœur lui enfonce son coude dans l’abdomen. Surprise par la douleur, elle cligne des yeux. Et déjà, les sillons ne sont plus là et elle commence à avoir besoin d’aller aux toilettes. Elle fixe l’arrière de la tête de son père, son oreille gauche écarlate par le soleil d’après-midi qui la transperce. Si elle parle de son envie, elle verra la tête s’incliner légèrement sur la gauche, faisant passer le soleil de son oreille au côté de sa tempe, puis il dira son prénom, de sa voix grave qui lui serre toujours un peu l’estomac, et lui intimera de se taire et de se contenir jusqu’à l’arrivée. Sa mère tournera légèrement le cou vers lui et elle laissera flotter dans son œil gauche un léger regard de reproche, destinée tant à l’un qu’à l’autre. Mais Paul, assis en plein milieu de la banquette arrière, se mettra à pleurer en disant qu’il doit, lui aussi, y aller. Son frère ainé, assis à sa droite, lui serrera très fort le genou en lui grommelant de se la fermer. Malgré cela, les yeux humides, Paul mordra sa lèvre inférieure, posera ses petites mains sur son entrejambes et gémira que c’est urgent. Leur mère se retournera complètement, la fixera furieusement, puis dira doucement à Paul d’être patient, que la maison n’est plus loin. Alors elle ne dit rien. Elle croise les jambes, faisant des plis dans le tissu plissé de sa jupe. Elle attendra. Elle cale sa tête entre la baquette et la portière, et colle sa main à la fenêtre.

mercredi 11 novembre 2009

Novembre 56

La femme pleure doucement. Ses cheveux bouclés lui collent salement aux tempes et la sueur acide de son front se mêle aux larmes. Il fait une chaleur infernale dans la chambre d’hôpital de Leopoldville. La femme inspire. À chacune de ses grossesses, une fois l’enfant mené à la pouponnière, c’est la même chose. Des larmes lui viennent et l’emportent pendant de longues minutes. La femme s’y abandonne et s’y berce, sans comprendre. La voix de son conjoint qui filtre de sous la porte se perd dans le bruit de la capitale. Une chambre donnant sur le jardin zoologique aurait été beaucoup plus calme, mais elles étaient toutes prises. Il eut beau menacer, fulminer que c’était inacceptable vu leur position, aucune chambre ne s’est libérée. Il doit être en train de téléphoner au pays pour annoncer la naissance de la petite troisième. Les sanglots s’espacent. La femme somnole. Toute cette chaleur l’épuise. Les longs après-midi pluvieux de Bruxelles lui manquent. Ses enfants ne connaissent que cette éternelle poussière qui se glisse au plus profond de la gorge, jusqu’au creux des côtes. Mais elle, elle connaitra autre chose. La femme l’amènera à la Mer du Nord, et elle connaitra alors cette eau glacée qui brûle les pieds. Elle mangera une gaufre le dimanche midi en laissant tomber de la confiture sur son nouveau pull. La femme la réprimandera en la menaçant de ne plus jamais lui en tricoter. Elle ira voir Saint-Nicolas, un peu effrayée par sa longue barbe et sa mitre dorée. Elle ne sera pas une enfant du vent brûlant et des sauterelles obsédantes. Elle sera l’enfant des hautes marées et du vent du nord. La porte s’entrebâille. Il jette un coup d’œil à sa femme, endormie dans la lumière tamisée des rideaux. Lentement, il ferme la porte. Dehors, le soleil est au zénith.

samedi 7 novembre 2009

Août 71

Le vent se lève dans les grands hêtres. Les feuilles crissent, ragent puis hurlent. L’orage n’est pas loin. Personne n’est encore revenu de la plage, elle est seule au chalet. Ils ne tarderont pas. Bientôt les maitres-nageurs siffleront, interdisant l’accès aux vagues. Ils veilleront quelques instants, puis tireront leur chaise loin sur le sable sec, près du boardwalk, pour qu’elle ne soit pas prise par les hautes marées de tempête. Les parasols seront rabattus, les chaises pliées, les planches secouées. En royaumes désertés, les vestiges de châteaux de sable scanderont le relief de la plage, jusqu’à ce que la pluie ait raison d’eux. Assise en indien sur le sol, elle tourne rêveusement les pages du plus récent catalogue de tricot de sa mère. Le tapis du salon frotte sur ses cuisses nues à chaque fois qu’elle remue. Bientôt elle entendra leurs pneus de vélo sur la pierraille blanche du chemin. Paul rentrera, énervé, lui racontant les vagues qu’elle aura ratées, les tonneaux jusqu’au rivage, du sable au fond de la gorge et du sel plein les yeux. Il paradera l’éraflure qu’un rocher égaré lui aura faite le long du flanc. Elle hésite. Elle doit se choisir un modèle de pull pour Noël, mais elle se trouve trop vieille pour ces tricots fantaisistes. Elle préfèrerait porter de jolis cardigans aux mailles minuscules. À travers les branches agitées, des éclats de ciel percent. La lumière est jaunâtre, presque teintée d’ocre. Une lumière de tornade, comme dirait son père. Elle sent le sol frémir. Les pilotis sur lesquels est perché le chalet vibrent sous les bourrasques. Elle referme le catalogue. Bientôt, ils seront là. Elle se couche se le dos. Encerclée de leurs cimes, elle se laisser vaciller auprès des grands hêtres.

dimanche 1 novembre 2009

Novembre 77

Le train a quitté la gare. Le croissant avalé en vitesse au bord du cœur, elle cale sa tête entre le siège et la fenêtre. Les perles de neige fondue luisent dans ses cheveux et gouttent jusqu’à ses genoux. Dans sa main droite, une photo polaroïd finit de sécher. La photo est ratée. Le gris verdâtre du mur et des plafonds de la gare occupe presque l’entièreté du cliché. Seule tache blanche dans le coin supérieur droit, son visage à lui, minuscule et flou. L’appartement lui manque déjà. Le vieux piano blanc, l’ampoule nue au-dessus du lutrin, sa vieille guitare qui traine. L’odeur écœurante qu’a son pull mouillé quand il revient après avoir été acheter des croissants à la boulangerie turque du bas sans prendre la peine de mettre un manteau et que Montréal neige comme elle sait neiger. Elle retourne la photo. Elle a trop attendu avant d’appuyer. L’escalier roulant l’avait déjà emporté et n’a laissé que son visage. Au verso, elle inscrit la date au crayon de plomb, les paroles de Brel en tête. Il disparaît bouffé par l’escalier et elle, elle reste là, le cœur en croix. Elle se met à hurler. Les yeux fermés. La bouche aussi. Elle ne veut plus de ces allers-retours en train. Jeter tout par la fenêtre et laisser le passage régulier des wagons déchiqueter tout contre les rails. Puis y retourner, se blottir contre lui pour écouter le robinet fuir toute la journée. Et se perdre sous les polaroïds de leurs deux corps en croix.

jeudi 29 octobre 2009

Octobre 78

Le téléphone sonne pour la quatrième fois. Elle se retourne en grognant vers le bord du lit. Il n’a qu’à se lever, lui. La cinquième sonnerie se fait entendre. Il se redresse et un courant d’air froid passe entre les draps. Elle les rabat rageusement sur ses épaules et, résignée, elle ouvre les yeux. Il s’étire longuement. Elle écoute les vertèbres de son dos craquer. Le téléphone sonne une autre fois. Il se lève. Les ressorts du matelas se détendent. Sa silhouette se découpe furtivement lorsqu’il passe devant la fenêtre. Ils ont encore oublié de tirer les rideaux. Dans quelques heures, le soleil va la réveiller pour de bon. Elle le regarde s’éloigner dans le couloir pendant que le téléphone sonne encore. Sur la table de chevet, les chiffres du cadran rougeoient. Ça lui donne mal aux yeux. Elle regarde plutôt la photo posée au pied de la petite lampe. Dans la lumière orangée du lampadaire, la photo de famille se dérobe. Elle ne voit que son frère, au centre, tenant fermement le collier de Garçon, leur berger allemand. Au bas de la photographie, un 68 bien rond à la mine de plomb se devine. Dix ans déjà ont passé. Au loin, le téléphone ne sonne plus. Sa mère disait qu’un appel au milieu de la nuit était toujours l’annonce de la mort. Elle se demande pourquoi elle a encore cette photo sur sa table de chevet. Paul n’est plus un petit garçon. Il va même venir la voir à Montréal cet été pour fêter ses dix-huit ans. Elle doit se rendormir. Avant que le soleil n’empêche définitivement le rêve. Elle téléphonera à Paul demain. Lui revient dans le couloir, mais le plancher ne grince pas comme d’habitude sous ses pas. Il marche différemment. Elle ferme les yeux. Expire. Elle rouvre les yeux pour jeter un dernier regard à son frère.

vendredi 2 octobre 2009

Dix juillet mille neuf cent quatre-vingt-quinze

Tu m'avais montré les vagues et raconté les noyades et tu m'avais dit les hélicoptères et les gardes-côtiers. Des flocons d'écume jaunie roulaient jusqu'à mes sandales en cuir il fallait toujours qu'elles soient en cuir ça empêchait les pieds qui transpiraient facilement comme les nôtres de transpirer disait maman. La Côte Sauvage inondait l'automne et j'apprenais ta Bretagne. J'avais les pieds mouillés à cause de l'écume séchée pas de la transpiration maman ne me croirait pas.

mardi 29 septembre 2009

Sept août deux mille neuf

Décarie s’est ouvert la pandore. Accoudée aux rambardes de métal, j’ai pas envie de bouger. Je sais que tu es dans les escaliers. Que tu ne m’attends pas. Je sais que tu es avec elle. Et que vous vous parlez d’amour.

mercredi 16 septembre 2009

Vingt-deux juillet

Le mince filet d’air qui s’engouffra entre le cadre d’aluminium et le panneau de bois lorsqu’il referma lentement la porte d’entrée suffit à la réveiller, encore. Elle garda les yeux fermés et compta. Une seconde, puis dix. À la dix-septième, elle entendit la voiture démarrer. Immobile dans son lit, elle savait la voiture qui reculait dans le drive-way, passait devant sa fenêtre et tournait à droite sur le grand boulevard. Il n’allait jamais par la gauche. Il n’y avait rien qui puisse l’intéresser à gauche. Lorsqu’elle ne perçut plus au loin le cahotement métallique des essieux sous la carrosserie, elle se tourna sur son flanc droit. Elle se rendormirait. Au matin, il serait revenu. Assis dans la cuisine avec son journal, il délaisserait la page des mots-croisés sur la table. Elle s'en saisirait. Ils ne se diraient rien. Sauf bye papa à 7h30.

samedi 25 juillet 2009

Carnet de voyage - 10

Les cordillières éventrées laissent s'évider les pourpres et les ocres jusqu'au fond des gorges des amants.
Suivons la Panaméricaine jusqu'à demain.

mardi 21 juillet 2009

Carnet de voyage - 9

Le vin ne coûte rien, les bars ne ferment jamais, les bottelería non plus, les Chiliens sont beaux. Valparaíso la magnifique.

Dans quelques jours, nous délaisserons l'éclectique Valpo pour la plus rangée capitale.

Une petite cure de désintoxe sera nécessaire. Se purifier après l'excès.

Valparaíso sera regrettée.

vendredi 17 juillet 2009

Carnet de voyage - 8

VALPARAÍSO,
qué disparate
eres,
qué loco,
puerto loco,
qué cabeza
con cerros,
desgreñada,
no acabas
de peinarte,
nunca
tuviste
tiempo de vestirte,
siempre
te sorprendió
la vida,
te despertó la muerte,
en camisa,
en largos calzoncillos
con flecos de colores,
desnudo
con un nombre
tatuado en la barriga,
y con sombrero,
te agarró el terremoto,
corriste
enloquecido,
te quebraste las uñas,
se movieron
las aguas y las piedras,
las veredas,
el mar,
la noche,
tú dormías
en tierra,
cansado
de tus navegaciones,
y la tierra,
furiosa,
levantó su oleaje
más tempestuoso
que el vendaval marino,
el polvo
te cubría
los ojos,
las llamas
quemaban tus zapatos,
las sólidas
casas de los banqueros
trepidaban
como heridas ballenas,
mientras arriba
las casas de los pobres
saltaban
al vacio
como aves
prisioneras
que probando las alas
se desploman.

Pronto,
Valparaíso,
marinero,
te olvidas
de las lágrimas,
vuelves
a colgar tus moradas,
a pintar puertas
verdes,
ventanas
amarillas,
todo
lo transformas en nave,
eres
la remendada proa
de un pequeño,
valeroso
navío.
La tempestad corona
con espuma
tus cordeles que cantan
y la luz del océano
hace temblar camisas
y banderas
en tu vacilación indestructible.

Estrella
oscura
eres
de lejos,
en la altura de la costa
resplandeces
y pronto
entregas
tu escondido fuego,
el vaivén
de tus sordos callejones,
el desenfado
de tu movimiento,
la claridad
de tu marinería.
Aquí termino, es esta
oda,
Valparaíso,
tan pequeña
como una camiseta
desvalida,
colgando
en tus ventanas harapientas
meciéndose
en el viento
del océano,
impregnándose
de todos
los dolores
de tu suelo,
recibiendo
el rocío
de los mares, el beso
del ancho mar colérico
que con toda su fuerza
golpeándose en tu piedra
no pudo
derribarte,
porque en tu pecho austral
están tatuadas
la lucha,
la esperanza,
la solidaridad
y la alegría
como anclas
que resisten
las olas de la tierra.

Neruda

mardi 23 juin 2009

Carnet de voyage - 7

J'irai à l'essentiel ce soir: le Pérou et le Chili me font sentir femme (je me suis enfin sentieeeeee feeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeemme - j'espére que vous avez maintenant tous la chanson bien calée dans la tête, vengeance).


Bonne Saint-Jean.

jeudi 18 juin 2009

Carnet de voyage - 6

Après-demain, ce sera la fin de l'aventure Pérou. Tout ceci me laisse un étrange arrière-goût. Ce voyage, j'y pense depuis 5 ans. Maintenant, j'y suis. Et j'y suis entièrement. Je n'ai même plus l'impression d'être en voyage. J'y suis. C'est tout.

Mais soudain, il y a urgence. Après-demain, il n'y aura plus de Pérou. Et pour probablement très longtemps. Et, d'une certaine manière, ça me fait paniquer.

Parlant d'adieu, ce matin, nous avons quitté ceux qui auront été nos compagnons le temps d'une ville. Le team Puno (peu original, certes, mais une appelation pleine de complicité). Et j'ai eu un étrange pincement de coeur en serrant Marie dans mes bras. A-t-on le droit de s'ennuyer de quelqu'un que l'on connaît seulement depuis 3 jours? Et a-t-on le droit d'avoir l'impression de connaître quelqu'un depuis toujours après seulement ces mêmes trois jours? Forcément, je n'ai aucune idée de quand ou si nous allons nous revoir. Mais il demeure que pendant ces quelques jours, j'ai eu cette étrange impression d'avoir à mes côtés une amie de longue date, une complice.

Dans un autre ordre d'idées, étrange chose que la technologie. Je suis au Pérou. Aucun doute là-dessus. Mais avec les moyens du bord, j'arrive également à garder une petite présence dans un quotidien autre, une montréaléité. Une présence qui me garde arrimée. Présente et absente. Et si l'entre-deux me déplaît parfois, je n'y changerai rien puisqu'il est malgré tout mieux que rien. Il me permet d'exister dans deux réalités. Enfin.

Nostalgie, j'imagine, que tout ceci. La fin d'une première partie de voyage, la fin d'une amitié non commencée, l'éloignement d'une réalité montréalaise qui me manque, malgré tout, beaucoup.

Constation en vrac pour briser la nostalgie:
-Tous les Péruviens ne sont pas petits.
-Les chiens morts jonchant les rues seront forcément mangés par leur congénères.
-Manger un dîner à trois services à 1$ dans un resto de quartier, c'est ça la vie.
-Parler politique dans une troisième langue, c'est pas évident. Le mime entre vite en service.
-Mâcher de la coca, ça goût mauvais, mais ça gêle la langue.

mardi 9 juin 2009

Carnet de voyage - 5

les braises sont éteintes je ne respire plus le nez collé au nylon humide l'odeur de fumée qui n'est plus la tienne.

mercredi 3 juin 2009

Je n ai pas ecrit depuis un bon moment. Vrai. Mais il n y a plus aucune partie de mon corps qui fonctionne normalement. Marre.

Cusco est belle. Touristique, mais comment s en sauver? Alors, elle est belle. Et zut le reste.

Les montagnes veillent sur la place d Armes et les astiqueurs de chaussures a 1 sole.

Le temps que la foutue altitude me foutte la paix et on pourra esperer juste marcher dans la rue et eventuellement aller au Macchu.

En attendant, je vais aller soigner mes maux de tete, de ventre, de dos, de nez, de yeux, de vie. (Oui, je me plains. Merde a la fin)

vendredi 29 mai 2009

Carnet de voyage - 3

Un Don Quixote de ferraille pendouille lamentablement au-dessus de la porte des toilettes du bar pendant que touristes et musiciens enfouissent leur malaise du folklore perdu dans l'orge de leur bière tièdasse.

La littérature est morte ce soir.

mercredi 27 mai 2009

Carnet de voyage - 2

Le spleen est passé. Cela doit etre grace à Zac Efron et ma brosse à cheveux magique.

Arequipa est une ville magnifique. Calme. Accueillante. Ça permet de soufler après les émotions de Lima.

Et Ica... le désert. Ce fut ... inattendu et déroutant. Disons simplement que j;aurai gouté aux délices du Pérou. Le reste est à votre discrétion.

Et donc, Arequipa. J;ai un rhume. Tout le monde pense que j;ai la grippe porcine. C;est d;un agréable, je me fais dévisager à tout bout de champ. Mais les rues sont pleines de touristes. Ça me fait du bien, ça me donne l;impression, la confirmation, que tout ceci n;est pas totalement absurde.

L;écriture vient lentement. Il est dur d;avoir du recul quand les émotions sont toujours à fleur de peau. Mais elle viendra. J;ai le temps. Beaucoup de temps.

dimanche 24 mai 2009

Carnet de voyage - 1

Ce soir, Lima a gagné le deuxieme round. Hier, je triomphais de la ville, j;étais la plus forte. Mais aujourd;hui, j;étouffe. Je ne veux plus rester dans cette piece aux briques brunes, avec la douche froide et les incessants moteurs qui rugissent. Je veux rentrer. Je veux vous voir.

Mais aussi inconstante que cette ville, mon humeur aura changée demain. Je serai en route vers les immensités du désert péruvien et je respirerai mieux.

Pour l;instant, j;ai l;estomac noué et meme Pennac ne sert a rien. Il ne reste plus qu;à dormir et attendre.

Et à rever de vous.

mercredi 25 mars 2009

UQAM - Puisque c'est ce dont on parle ces temps-ci

L'UQAM a besoin d'être relancée, elle a besoin d'être carrément refondée.
Un peu de lecture, pour ceux qui y croient.

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/lettre-ouverte-a-robert-proulx/

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/40-lettre-ouverte/

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/pourquoi-une-greve-a-luqam/

samedi 14 mars 2009

Lorient

Au loin, le sifflet du chef de gare perce le silence de l’aube. Il tourne la tête vers la fenêtre. Elle enserre encore plus fort ses jambes, ses mains moites collées contre la peau pliée de ses genoux, et enfonce son menton dans les motifs texturés de la couverture délavée. Ça lui brûle la peau. Le coup de sifflet a jeté un étrange silence sur la rue. Les chiens n’aboient plus. Les mobylettes ne grondent plus. Les soûlons du bar de la gare ne s’époumonent plus. Seul le grésillement de la lampe de chevet empli la pièce. Ils n’avaient jamais remarqué qu’elle faisait du bruit. Ils n’avaient jamais partagé un tel silence, à la naissance du jour. Leur dernière visite remonte à cinq ans, déjà. À la mort de leur grand-père. Le train entre en gare, faisant trembler les briques de la rue Beauvais. Dans la mansarde, ils reçoivent ce frisson impassiblement. Les trains n’ont jamais éventrés les maisons.

Les bombardements n’ont pas cessé depuis trois jours. Les sous-marins cachés dans la pénombre des bunkers allemands de la rade doivent être détruits. Les murs de Lorient éclatent et les hydrangées, encore en fleurs malgré le mois de février, ploient sous le poids des briques qui tombent. Il doit quitter, partir vers la campagne. Sa ville de pierres est en ruine.

Il se retourne et quitte la fenêtre. Il fait un pas vers le lit et la regarde, recroquevillée dans le bleu de la couverture. La chambre bleue. Enfant, elle demandait toujours à y dormir, comme pour faire plaisir à leur grand-mère qui leur avait confié que la pièce lui rappelait sa chambre à la ferme, avant qu’elle ne suive leur grand-père à la ville. Depuis, elle en avait fait son royaume de petite fille. Durant les vacances d’été, elle régnait fièrement sur le petit secrétaire qu’elle pouvait fermer à clé après y avoir enfoui son journal intime, sur la grande armoire de bois massif dans laquelle elle accrochait soigneusement chacun de ses vêtements, sur l’oreiller de dentelle en forme de cœur, sur la petite table à café où elle empilait les coquillages déterrés à la plage. Sur Lorient qu’elle surplombait du haut de sa mansarde bleue. C’était la reine. C’était sa reine. Ce matin, elle est adulte, égarée devant son frère devenu étranger. Les murs ont absorbés tous leurs souvenirs d’enfant. Il ne reste que la vieille tapisserie aux marguerites bleues.

L’automne breton irradie sur la campagne, septembre prépare le sol aux longs mois de grisaille d’hiver. La guerre est finie. Elle est heureuse que les tirs alliers l’aient amené vers elle. Il rêve de lui montrer la ville, de lui montrer la mer les jours de grand vent côtier, ce vent furieux s’engouffrant bruyamment entre les volets, portant l’écume loin sur la grève.

Il lui a tout dit. Jeter d’un coup. Mais elle ne comprend pas quand il lui dit que le monde est trop grand pour lui. Elle n’a jamais voulu comprendre. Elle le regarde, interdite. Ils ne se reconnaissent plus. Debout dans l’éclairage orangé de la lampe de chevet, il courbe le dos. Le toit en pente de la mansarde lui fait de l’ombre. La moitié de son corps se perd dans la noirceur. Elle n’ose pas bouger. Elle craint qu’au moindre mouvement de draps, il s’effrite. Qu’il s’effondre dans ce monde qui lui donne le vertige. Au loin, le coq chante. Le dernier de la ville. Quand il était petit, il se demandait si le coq qui le réveillait tous les matins était le même qui avait chanté il y a soixante ans pour les marins allemands le jour du grand bombardement sur cette base nasale que son grand-père lui montrait à chacune de leur randonnée en vélo.

L’air salin se dépose en fine bruine sur leurs peaux amoureuses. Il lui lèche discrètement la main. Elle goûte encore la terre, mais bientôt elle sera enfant de la mer, comme lui.

Il se tait. Il n’y a plus rien à dire. Les confidences ont été trop lourdes. Elle a le réconfort enroué. Elle est là. Lui aussi. Il aurait voulu lui dire combien le monde le trouve laid. Mais il se tait. Cinq heures trente-cinq, le chef de gare donne trois coups de sifflet. Le train en direction de Paris va partir.

Debout à l’embouchure du Scorff, ils contemplent les structures de béton. La ville a été complètement rasée par les missiles alliés, ils n’ont trouvé au retour qu’une ville morte. Une ville morte pour la France, leur a-t-on dit. Mais les bombes n’ont su raser la base sous-marine allemande.

Il traverse la pièce. Et sort. Elle déplie ses genoux, tend la main et éteint la lampe de chevet. La tapisserie disparaît. Sa chambre bleue aussi. Avec le soleil levant, elle se rendort. D’un sommeil champ de bataille.

mardi 3 février 2009

Bon-papa - Partie 1

Bon-papa

Les routes de Virginie m’ont toujours donné la nausée. Recroquevillée sur la banquette arrière, j’essaie d’étouffer la mutinerie de mes intestins. Peine perdue. Mon père avale les courbes serrées des vallons d’une alarmante nonchalance, me donnant des haut-le-cœur à chaque virage. Une main sur le volant, il entrouvre sa vitre de l’autre. Il va encore s’en griller une. Quand j’étais jeune, les temps étant ce qu’ils étaient, il ne lui venait même pas à l’idée d’aérer la voiture. Maintenant, c’est différent. La fumée secondaire tue. Le nez plongé dans le tissu rêche du siège, j’ai la tête saturée de ces relents âcres que le temps a figés entre les fibres synthétiques et je sens la voiture piquer vers le bas et mon cœur remonter le long de mon œsophage. La fumée secondaire tue, soit. Mais les routes de Virginie aussi. Elles serpentent, s’entremêlent, s’étranglent et ne dévoilent leur jeu qu’au dernier moment. On ne peut savoir s’il faudra virer à droite ou alors continuer légèrement vers la gauche ou si la route prendra fin, mon père n’ayant pu retenir les pneus de déraper vers le prochain fossé, si l’issue du voyage sera, telle que prévue, l’arrivée chez mes grands-parents. Ou la collision sanglante de ma tête contre le pare-brise. On ne peut jamais savoir. Mais les roues se réalignent, l’horizontal reprend le dessus, mon père jette son mégot d’un claquement d’ongle. La collision ne viendra pas.

Je relève la tête et me calme à la froideur de la fenêtre. Les troncs d’arbres passent et se ressemblent et derrière la forêt dense bordant la route se dévoilent en architectures audacieuses les majestueux domaines qui ont bercé mes fantaisies d’enfant. J’aimais alors imaginer qui, d’un haut fonctionnaire d’état ou d’un obscur prince d’Arabie, possédait celle-ci, réplique parfaite de la Maison Blanche, ou alors celle-là, tirée, me semblait-il, des Mille et une nuits. Dans la lumière fade de décembre, elles me paraissent aujourd’hui creuses et maussades, véritables mémoriaux à la grandeur des ambitions américaines.

La voiture fait une légère embardée vers la droite. Mon père n’a pas vu la jeep qui venait en sens inverse, dans le virage. La main de ma mère se crispe sur l’accoudoir, sa mâchoire se serre. Elle ne dira rien. Nous venons d’esquiver une pénible engueulade, et étrangement je n’en suis pas soulagée. Au moins, lorsque leurs voix éclataient encore, je les sentais vivre. J’aurais préféré que ma mère enterre mon père sous sa critique fielleuse, qu’elle lui reproche sa conduite et toutes ses contraventions ultérieures, que mon père accélère pour la provoquer, qu’il menace de tous nous jeter contre le prochain tronc d’arbre au commentaire suivant. J’aurais préféré qu’ils fassent rejaillir les vieilles querelles, qu’elle lui marmonne sournoisement ces insultes qu’elle lui marmonnait déjà quand, petite, je collais mon oreille au plancher de ma chambre pour les écouter se déchirer au salon, qu’il lui crie les mêmes accusations qu’il lui criait systématiquement à l’heure des repas, avant. J’aurais préféré que la jeep nous percute. Que la tôle se froisse. Que nos cous se brisent. Que nos regards se figent. N’importe quoi plutôt que ce silence. N’importe quoi plutôt que de les sentir déjà morts.

Le crissement du gravier sous les roues réveille mon petit frère assoupi à mes côtés. À douze ans, il parvient encore à dormir calmement et à faire abstraction de la tension s’accumulant en crescendo au long des dix heures de huis clos qu’il faut pour aller de Montréal à Washington. Il ne rêve que des cadeaux à l’arrivée, des bandes-dessinées d’un autre temps enfouies dans l’ancienne armoire de l’oncle Paul, celles qu’on pourra feuilleter jusqu’à l’extinction des feux. Du grand jardin aux pruches sentinelles, des parties de cartes sur la table à café après le dessert. Alors quand le gravier crisse, il ouvre de grands yeux, excité. Il ne pense plus aux coups de poing dans le mur, aux bleus sur l’avant-bras, aux valises dans le couloir. Seule compte la présence au bout de l’allée, la silhouette de notre grand-mère qui veille, vigie inébranlable en faction aux côtés des longues colonnes de la maison. Au fur et à mesure que la voiture rejoint le porche familial, je sens les quelques parcelles d’inquiétude restant au creux de ses rides s’atténuer. Elle se tient debout, le dos un peu bossu, ses cheveux blancs parmi la blancheur des colonnes. Même le plus grand cataclysme familial ne pourrait m’enlever la quiétude que m’apporte la vision de ma chétive grand-mère croissant graduellement dans mon champ de vision, de plus en plus belle, de plus en plus importante, jusqu’à prendre toute la place, plus grande les colonnes, plus grande encore que les pruches. Être femme, c’est être ma grand-mère.

Mon père coupe le contact. Un à un, engourdis par le long trajet, nous extirpons nos membres endoloris du véhicule et, un à un, nous avons droit aux embrassades sonores de ma grand-mère. Michel, ils sont là! Sa voix fuse dans le calme du voisinage, mais je ne devine pas mon grand-père, en retrait dans l’ombre du hall d’entrée, les mains dans le dos, attendant que nous allions l’embrasser. Comme il le fait toujours. J’aperçois seulement le rideau du salon s’écarter légèrement. Il est là, il guette. Mais il ne s’est pas levé au son du gravier sous les roues. Comme il le faisait toujours.

Les valises rentrées, nous nous installons au salon. Des bras puissant me saisissent. Mon grand-père m’enlace et m’étouffe de toute sa puissance d’homme, inaltérée malgré les années. Le nez écrasé contre son col de chemise, je voudrais me convaincre que rien n’a changé. Qu’il est exactement comme je l’ai laissé il y a un an, trois ou quatre tâches de vieillesse en plus. Mais quelque chose cloche, quelque chose qui me prend à la gorge. L’odeur de son savon ne m’enveloppe plus. Il sent les relents d’eau de Cologne, les cheveux négligés. La peau flétrie. Mon grand-père sent la vieillesse. Elle lui colle aux habits, elle est derrière ses oreille, jusque sous son jonc de mariage. Elle a attaqué. Et maintenant, elle le gruge lentement, logeant sa traître odeur dans chacun de ses pores. Je m’écarte. Il en a même oublié de tailler sa moustache.

Je fais mine de m’intéresser aux valises et me dépêche d’en amener le plus possible aux chambres. Plantée au milieu de l’ancienne chambre de mon oncle Paul, je me laisse dériver. Même si chaque bibelot, chaque fissure de cette pièce me sont familiers, j'ai l'impression de la comprendre pour la première fois. Les murs sont tapissés de photographies de mon oncle, jeune. Il joue au tennis, discute avec ses compagnons de collège, déjeune sur la terrasse, enterre ma mère dans le sable. Il est beau, insolent d’insouciance comme on l’est à dix-huit ans. Le jeune Paul trône dans sa chambre d'adolescent, omniprésent. Mais aucune place pour l’adulte. Le Paul adulte n’existe pas. Il est mort avant même que je ne sois qu’une vague idée dans la tête de mes parents. Un accident de voiture. Parce que les routes de Virginie tuent.

mercredi 28 janvier 2009

Bon-papa - Partie 2

Je dois m’asseoir. J’étouffe dans cette maison où la vieillesse latente se conjugue à la jeunesse embaumée. Et tout ceci si impudiquement. Les murs, les meubles, les tableaux ne sont que les suaires des gens ayant traversé la vie de mes grands-parents, héritage d’une époque où tout n’était que vigueur et éternité. Ce tableau d’un grand oncle peintre résistant durant la Deuxième Guerre mondiale, ce buste en mémoire de mon arrière-grand-père, ce secrétaire d’une amie d’enfance. Les innombrables photos de Paul. Tous décédés. Et entre ces reliques se meuvent mes grands-parents, déjà enterrés. La maison, qui a toujours été pour moi l’histoire d’une autre époque à découvrir, une époque à m’approprier, ce soir me semble éteinte. Comme si je violais un sanctuaire familial.

La voix de mon petit frère me secoue. Il se demande ce que je fais assise sur le lit à caresser un vieil ours en peluche alors qu’il y a des cartes et du chocolat au salon. Pourquoi résister à une telle logique? Je me lève, le rejoins et, l’empoignant par le cou, lui colle un baiser mouillé sur la joue, ce qui le fait fuir à grand bruit dans le couloir, hurlant que je suis horriblement dégoûtante. J’avale une grande bouffée d’air et lui emboîte le pas.

Au salon, l’atmosphère est calme. Personne n’a eu vent de la tempête qui, moi, m’a prise au dépourvu. La lumière tamisée accentue le beige et le brun des sofas inchangés depuis trente ans. Ils sont si vieux et si mous que ma grand-mère a de plus en plus de difficulté à s’en extirper. À chaque fois, elle doit se donner un élan pour que ses courtes jambes puissent rejoindre le sol, parvenant tant bien que mal à récupérer son équilibre. Seule ma mère, qui a trouvé retraite dans la buanderie, manque au tableau. Je l’imagine, ensevelie dans les effluves de lessive et de vapeur, en train de remettre de l’ordre dans ses idées. Elle doit avoir remarqué, elle aussi. Peut-être est-elle en proie au même trouble que moi. Les mains plongées dans les vêtements sales de ses parents, peut-être ressent-elle un étrange amalgame de dégoût et de compassion en comprenant que c’est elle, à présent, la plus forte. À quel moment tout ceci a-t-il dérapé? Quand son père a-t-il cessé de représenter l’ultime figure d’autorité, de connaissances professorales? Quand les épaules de sa mère ont-elles commencé à se courber vers l’intérieur? Quand la maison immuable de sa jeunesse s’est-elle laissé lentement transformer en sanctuaire?

L’eau cesse de couler. Ma mère émerge de la buanderie et nos regards se croisent. Nous savons ce que nous partageons, ce soir. Mais nous n’en parlerons pas, puisque nous ne nous parlons plus depuis des années. Elle m’a perdue au moment où j’ai compris qu’elle ne serait jamais heureuse. Avec ou sans mon père, cela ne changerait rien. De comprendre qu’elle aimait sa vie ainsi, qu’elle avait fait des engueulades, des mots haineux et de sa solitude son quotidien m’a pétrifié. J’avais douze ans. Abandonner ma mère à son malheur volontaire fut une des décisions la plus ardue de ma vie. Et toutes ces déceptions remontent dans nos regards échangés à travers le couloir. À l’autre extrémité du salon, j’entends mon frère m’appeler pour que je vienne jouer une partie de Rami autour de la table à café avec notre grand-père. Les yeux toujours plantés dans ceux de ma mère, je décèle une faible lueur de consentement à travers la fatigue de son regard. Sans un mot, elle me tourne le dos et repasse la porte battante de la buanderie.

À la dérobée, je détaille mon grand-père. J’en serais sûrement tombée amoureuse si je l’avais rencontré il y a soixante ans. Ce regard perçant, ce large front intelligent et fier, sa moustache carrée, maintenant poivre et sel, qu’il n’a jamais rasé. Il est beau. Je place silencieusement mes cartes pendant que lui, encouragé par la monotonie du jeu, se met doucement à nous parler de sa jeunesse. Il nous raconte son père mort dans la maison familiale à Bruxelles, terrassé par une crise cardiaque au milieu de la cuisine alors qu’il n’avait que quinze ans; sa première rencontre avec notre grand-mère à la soirée dansante de la ville; sa mère, morte trop jeune de tuberculose. Il nous explique la guerre, les années passées au Congo, la reconnaissance par le Sénat américain et le déménagement de la Belgique à la prometteuse Amérique. Des pans entiers de ma généalogie que je pensais connaître comme les paroles d’une comptine, mais qui m’échappent pourtant en cette nuit d’hiver. Auparavant, j’écoutais ces histoires d’une oreille distraite, me disant qu’elles allaient inévitablement être répétées le jour suivant. Mais ce soir, une angoisse sourde dans la poitrine, j’ai besoin de me les graver directement dans la peau. Mon grand-père a vieilli. Je ne peux plus le nier. Il s’étouffe dans ses souvenirs et ses reliques. Et j’ai soudainement peur. Une peur froide et originelle. J’ai peur de la mort de mon grand-père comme on a peur de l’extinction de sa propre mémoire.

La soirée a filé. Ma grand-mère, en s’élançant hors du fauteuil, clame qu’il est tard et que la partie sera remise à demain. Bises, bonsoir et à demain. Tout le monde rejoint ses quartiers. Mon frère et moi nous dirigeons vers la chambre de l’oncle Paul. Je prends soin de m’enfouir sous les couvertures sans jeter le moindre coup d’œil aux murs. Je ne gronde même pas mon compagnon de chambre qui triche avec sa lampe de chevet en lisant un Tintin. Je suis trop abrutie.

Le lendemain, il fait un temps radieux. L’hiver en Virginie est indéfinissable. Une année, le sol est complètement gelé, et la suivante nous prenons un bain de soleil à Noël. Je monte pour le petit-déjeuner. Les immenses fenêtres de la cuisine donnant sur le grand jardin de la propriété inondent la pièce de la crue lumière matinale. Au loin, de nombreuses pensées percent insolemment entre les racines des pruches. La neige montréalaise me paraît à des années-lumière. Autour de la table, toute la famille déjeune, sauf mon grand-père. Il peaufine probablement sa toilette matinale. L’odeur de la veille me revient. Je réprime un frisson, mais me rassure en me disant naïvement que la vieillesse ne peut survivre à une aussi belle matinée. Au bout de la table, mon père a le visage fripé. Il a dû encore dormir sur le fauteuil. Tant pis. Je replonge mon regard dans la cime des grands arbres. J’entends alors ma grand-mère pousser un cri de surprise suivit des exclamations de toute la tablée. Je me retourne. Dans le cadre de porte, je vois mon grand-père, debout, dans son peignoir bleu élimé, les bras ballants.

Il a rasé sa moustache.

Ce n’est plus mon grand-père qui se tient debout devant moi, vulnérable. C’est Paul. C’est mon oncle Paul, s’il avait eu un jour quatre-vingts ans. Si les routes de Virginie ne tuaient pas.

dimanche 18 janvier 2009

Sans titre

ramons vers le continent sauvage
où les omoplates en socs
plantées dans le sol
les assauts de nos corps
impies
saigneront la terre

Vingt-trois heures

Tu es là. Dans la lumière de chevet à me dire que le monde est trop grand pour toi. La couverture me râpe le menton. Mes mains moites collent contre la peau pliée de mes genoux. J’aimerais bouger, mais je crains qu’au moindre mouvement de draps, tu t’effrites. Que tu te consumes dans l’éclairage orangé. Alors, immobile, j’ai le réconfort enroué. Tu es là. À l’autre bout de la chambre, blotti sous l’alcôve comme si elle pouvait empêcher l’univers de s’effondrer sur toi. En bas, le chef de gare donne trois coups de sifflet. Le train en direction de Paris de vingt-trois heures va partir. Pendant que toi. Tu es là. À me dire que le monde te trouve laid.

Qui êtes-vous ?

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On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.