vendredi 5 décembre 2008

Café de table

La table est grande. Les livres s’empilent. Les vieilles factures aussi. Tu râlerais. Tu me dirais qu’il n’y a pas moyen d’y voir clair dans mon bordel et que tu as encore perdu tes clés quelque part. Mais ça m’irait. Tout plutôt que la table ronde de la cuisine, trop grande sans toi, là, à me regarder et me dire que j’ai encore forcé la dose pour le café. Que tu vas avoir des palpitations toute la journée au travail et que tu vas suer à en faire des ronds sous les bras de ta belle chemise rayée que tu avais pris la peine de repasser hier soir après les nouvelles. La table s’étire sans toi pour m’écouter te dire un sourire en coin que les palpitations, c’est à cause de moi. Pas du café.

mardi 18 novembre 2008

Terminal

Last call. La voix anonyme brise le silence des après-midi mortes de septembre. Dernier appel. D’un coup, les pas perdus s’emparent du hall et cisèlent les longues entailles de soleil striant le terminal. Ils piétinent, s’égarent un moment et, orchestrés par cette voix sans visage, s’engouffrent dans les mâchoires automatiques des portes d’embarquement. Alors seulement la poussière peut se remettre à scintiller dans la lumière ocrée d’automne. La voix ne chante que pour les rêveurs de départs.

The passengers travelling to Atlantic City please proceed to gate thirteen. Les étapes sont simples. Taxi, hall, gate 13, autocar, taxi, hotel, océan. Simple suite logique.

Mais mardi n’est pas une bonne journée pour partir. Ni pour arriver. Atlantic City ne fait pas rêver. Pas plus que Sainte-Foy ou Ottawa. Entre les rares appels aux départs et les quelques roulements de valises, le grincement de l’escalier roulant emplit tout l’espace. Si l’on abaisse momentanément notre vigilance, si l’on ferme brièvement les yeux, le gémissement mécanique qui paraissait grave et régulier se met alors à striduler, oscillant sans fin contre les tympans. Entraînant le corps dans la bascule, le son se répercute du front au dos de la tête. Les yeux toujours fermés, le tronc se balance au rythme des marches de métal qui défilent et hurlent.

- Pouvez-vous garder ça pendant que je passe au dépanneur ? J’ai les bras en compote.

La voix aigrelette d’une vieille dame brise le magnétisme sonore. Blanche des chaussures jusqu’aux bouts des ongles, elle tourne déjà le dos, trottinant vers le dépanneur de la gare, laissant ses valises choir sur le plancher faussement marbré. Les gens abandonnent si facilement leurs possessions. De toute façon, le vol de bagages, cela n’arrive qu’aux autres. Portefeuille au cuir craquelé, billets d’autocar aller-simple, trousse de soin des ongles, le butin serait pourtant riche. Mais, elle revient bien vite, précédée d’une toux de
fumeuse aguerrie, et s’assied minutieusement sur le simili cuir du siège. Le vol sera pour plus tard, lorsque, attendant son fils en retard au rendez-vous, elle se sera assoupie quelques instants. Pour le moment, absorbée par le billet de loto qu’elle vient d’acheter, elle grommelle entre ses dents.

- Stealer. Maudit stealer… voleur. Mes trois cennes. Sont à moi. Voir que je l’aurais laissé se mettre mes cennes dans les poches.

À petits coups secs, elle gratte les cases, ses doigts balayant méthodiquement les rognures. Elle relève la tête. L’incartade du commis de dépanneur est déjà oubliée. Tous les carrés ont été proprement dévoilés.

- Eille, j’ai un billet gratis ! Je joue pas souvent à ces affaires là. C’est l’fun.

Elle ne dupe personne. Elle sort trois autres tickets de son sac à main –blanc – et se remet à jouer. C’est une habituée. Les débris s’accumulent en flocons légers sur ses pantalons. Ses mains s’agitent, fébriles devant les espaces demeurant encore intouchés.

Les passagers en route vers Saint-Adèle, Mont-Tremblant, Val-Morin sont priés de se présenter à la porte trois.

Toutes les rognures tombent d’un seul coup sur le sol. Elle agrippe ses deux valises blanches d’une main et, ses billets de loto dans la seconde, traverse d’un seul coup la pièce, faisant danser la poussière, heurtant au passage quelques pas encore perdus dans l’après-midi.

mardi 28 octobre 2008

Sans titre

j'ai la nuit plurielle
et Dieu n'est plus
le ciel s'encombre
erre ton cadavre



poème étrange. on ne dirait pas qu'il vient de moi. louche.

lundi 27 octobre 2008

Ton gant - incomplet

C’est l’automne et tu as oublié de reprendre tes gants qui dorment sur mes cuisses qui ne dorment pas, ancrées sur la chaise où tu m’as demandé de reprendre la vie où elle s’était arrêtée avant ta venue mais hier tu m'as embrassée alors les gants sur mes cuisses empêchent la journée de continuer. Dehors, tes jointures sont rouges.

dimanche 19 octobre 2008

Asymptote

Ça y est. Elle s’est assise à ma gauche. Nos deux corps forment deux lignes presque parallèles. Nous longeons la même abscisse, condamnées à ne jamais se croiser. Sa seule présence entraîne une mutinerie de ma constitution. Mon organisme entier se presse contre mon flanc gauche. Une immense force dirigée vers chaque centimètre de sa peau. Atomes par atomes, vers elle.

Mais non.

Le regard obstinément tourné vers le téléviseur, ma façade demeure immuable. Mes tripes ont beau se mettre à délirer, je sais qu’il ne se passera rien. Un cratère d’ambiguïté nous sépare.

Je dois me concentrer sur le film. Mes yeux fixés à l’écran, je tente de focaliser, de me recenter les organes. Peine perdue. Les images, les mouvements, les sons, tout m’agresse. J’en ai la nausée. Je tourne ma tête vers elle. C’est pire. J’ai envie de vomir notre silence. Sa dénégation. J’ai besoin de répandre notre histoire partout sur le plancher, qu’elle soit obligée la regarder en face, d’en observer la pourriture, et peut-être enfin, me regarder, moi.

Je repose mes yeux sur la télévision. Il n’y aura pas de déversement ce soir. Encore une fois, j’ai esquivé la confrontation. Le moment n’a pas été régurgité, il est trop tard.

Elle se lève, traverse mon regard nauséeux. Son odeur flotte un moment autour de moi, puis s’efface. Alors seulement je parviens à tourner la tête, et la regarder disparaître dans le couloir. Je peux prévoir secondes par secondes, gestes par gestes, ce qu’il se passera ensuite. La répétition incessante d’un mauvais rêve. Elle sortira de la salle de bain. Je lèverai mes yeux vers son visage qui, lui, fuira le mien. Elle se replacera à ma gauche, toussera, rangera sa frange de cheveux indisciplinés derrière son oreille droite, si indifférente au branle-bas de combat qu’elle déclenche en moi.

Ça y est. Elle s’est rassise à côté de moi.

Tout peut recommencer.

mardi 14 octobre 2008

Le banc

Mes pieds fourragent la terre que tu nous as refusée parce que tu avais peur des failles. Surtout celles que creusaient nos ventres.Et mon corps engraisse le bois poli.

Coin Greene et Sainte-Catherine

En parcelles agglomérées, le ciel tombe sur Montréal. Première tempête de l’année. Il sait combien je ne supporte pas les premières neiges. Combien elles me donnent envie de me nicher au creux de ses aisselles et d’y attendre la fin. Mais debout dans son entrée, avec ma gueule de bonhomme de neige du tiers-monde, je le regarde se croiser les bras. Me dire d’oublier les premières neiges. Que, cette fois, l’hiver ne finira pas.

Je fixe la pointe de mes souliers sombrer dans un océan de neige fondue. La porte a claquée. La lumière du porche s’est éteinte. L’orange des lampadaires me remplit la gorge et le mois de décembre me rentre dans le corps. À coups de vent dans les larmes. Il a fermé la porte. M’a exclue jusqu’au dernier sourire.

Accident au coin de Greene et Sainte-Catherine. Bien fait. Je ne serai pas la seule dévastée ce soir.

samedi 11 octobre 2008

Le café a figé

La lumière de la cuisine s’engouffre dans ta tasse rose au bord du comptoir et mes ongles pianotent le bois que tu ne voulais jamais cirer tant tu craignais de me fixer au rainures de me perdre dans les nœuds et le soleil se noie toujours dans ton café froid que tu ne finissais plus.La porcelaine est cernée. De la tasse à mes joues.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.