mercredi 25 mars 2009

UQAM - Puisque c'est ce dont on parle ces temps-ci

L'UQAM a besoin d'être relancée, elle a besoin d'être carrément refondée.
Un peu de lecture, pour ceux qui y croient.

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/lettre-ouverte-a-robert-proulx/

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/40-lettre-ouverte/

http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/24/pourquoi-une-greve-a-luqam/

samedi 14 mars 2009

Lorient

Au loin, le sifflet du chef de gare perce le silence de l’aube. Il tourne la tête vers la fenêtre. Elle enserre encore plus fort ses jambes, ses mains moites collées contre la peau pliée de ses genoux, et enfonce son menton dans les motifs texturés de la couverture délavée. Ça lui brûle la peau. Le coup de sifflet a jeté un étrange silence sur la rue. Les chiens n’aboient plus. Les mobylettes ne grondent plus. Les soûlons du bar de la gare ne s’époumonent plus. Seul le grésillement de la lampe de chevet empli la pièce. Ils n’avaient jamais remarqué qu’elle faisait du bruit. Ils n’avaient jamais partagé un tel silence, à la naissance du jour. Leur dernière visite remonte à cinq ans, déjà. À la mort de leur grand-père. Le train entre en gare, faisant trembler les briques de la rue Beauvais. Dans la mansarde, ils reçoivent ce frisson impassiblement. Les trains n’ont jamais éventrés les maisons.

Les bombardements n’ont pas cessé depuis trois jours. Les sous-marins cachés dans la pénombre des bunkers allemands de la rade doivent être détruits. Les murs de Lorient éclatent et les hydrangées, encore en fleurs malgré le mois de février, ploient sous le poids des briques qui tombent. Il doit quitter, partir vers la campagne. Sa ville de pierres est en ruine.

Il se retourne et quitte la fenêtre. Il fait un pas vers le lit et la regarde, recroquevillée dans le bleu de la couverture. La chambre bleue. Enfant, elle demandait toujours à y dormir, comme pour faire plaisir à leur grand-mère qui leur avait confié que la pièce lui rappelait sa chambre à la ferme, avant qu’elle ne suive leur grand-père à la ville. Depuis, elle en avait fait son royaume de petite fille. Durant les vacances d’été, elle régnait fièrement sur le petit secrétaire qu’elle pouvait fermer à clé après y avoir enfoui son journal intime, sur la grande armoire de bois massif dans laquelle elle accrochait soigneusement chacun de ses vêtements, sur l’oreiller de dentelle en forme de cœur, sur la petite table à café où elle empilait les coquillages déterrés à la plage. Sur Lorient qu’elle surplombait du haut de sa mansarde bleue. C’était la reine. C’était sa reine. Ce matin, elle est adulte, égarée devant son frère devenu étranger. Les murs ont absorbés tous leurs souvenirs d’enfant. Il ne reste que la vieille tapisserie aux marguerites bleues.

L’automne breton irradie sur la campagne, septembre prépare le sol aux longs mois de grisaille d’hiver. La guerre est finie. Elle est heureuse que les tirs alliers l’aient amené vers elle. Il rêve de lui montrer la ville, de lui montrer la mer les jours de grand vent côtier, ce vent furieux s’engouffrant bruyamment entre les volets, portant l’écume loin sur la grève.

Il lui a tout dit. Jeter d’un coup. Mais elle ne comprend pas quand il lui dit que le monde est trop grand pour lui. Elle n’a jamais voulu comprendre. Elle le regarde, interdite. Ils ne se reconnaissent plus. Debout dans l’éclairage orangé de la lampe de chevet, il courbe le dos. Le toit en pente de la mansarde lui fait de l’ombre. La moitié de son corps se perd dans la noirceur. Elle n’ose pas bouger. Elle craint qu’au moindre mouvement de draps, il s’effrite. Qu’il s’effondre dans ce monde qui lui donne le vertige. Au loin, le coq chante. Le dernier de la ville. Quand il était petit, il se demandait si le coq qui le réveillait tous les matins était le même qui avait chanté il y a soixante ans pour les marins allemands le jour du grand bombardement sur cette base nasale que son grand-père lui montrait à chacune de leur randonnée en vélo.

L’air salin se dépose en fine bruine sur leurs peaux amoureuses. Il lui lèche discrètement la main. Elle goûte encore la terre, mais bientôt elle sera enfant de la mer, comme lui.

Il se tait. Il n’y a plus rien à dire. Les confidences ont été trop lourdes. Elle a le réconfort enroué. Elle est là. Lui aussi. Il aurait voulu lui dire combien le monde le trouve laid. Mais il se tait. Cinq heures trente-cinq, le chef de gare donne trois coups de sifflet. Le train en direction de Paris va partir.

Debout à l’embouchure du Scorff, ils contemplent les structures de béton. La ville a été complètement rasée par les missiles alliés, ils n’ont trouvé au retour qu’une ville morte. Une ville morte pour la France, leur a-t-on dit. Mais les bombes n’ont su raser la base sous-marine allemande.

Il traverse la pièce. Et sort. Elle déplie ses genoux, tend la main et éteint la lampe de chevet. La tapisserie disparaît. Sa chambre bleue aussi. Avec le soleil levant, elle se rendort. D’un sommeil champ de bataille.

Qui êtes-vous ?

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On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.