jeudi 4 novembre 2010

Quand tu me téléphonais, l'automne 1978, j'aimais m'asseoir à la grande fenêtre du salon. Il fallait que je tende tout à fait le fil de l'appareil pour y parvenir. Une fois le combiné coincé entre mon épaule et mon menton, j'étirais la jambe pour attraper la chaise d'osier du bout du pied. Concentré à ne pas laisser choir le téléphone et à ne pas exercer une tension trop grande avec mon corps, ce qui aurait débranché la ligne téléphonique, je n'entendais jamais réellement tes premières paroles. Ce n'est qu'une fois calée en indien, ma jupe se soulevant sur mes cuisses croisées, que je t'écoutais me raconter les nouvelles de là-bas. J'aimais te parler assises devant la fenêtre donnant sur la rue Côte Sainte-Catherine. T'entendre me dire ces lieux et ces gens qui étaient encore moi alors que je regardais vivre ces lieux et ces gens qui devenaient moi me permettait de conjuguer le choix de mon départ au présent. Je parlais peu. Je préférais le son de ta voix, inconstante quand tu t'affairais à préparer le repas du soir ou reposée quand tu téléphonais depuis le poste accroché au-dessus de ta machine à coudre. Parfois, papa ou Paul te volaient le temps d'une question, me saluant en différé. J'attendais que tu me reviennes. Tu me rappelais inévitablement que Alain rentrait à la maison pour Noël. Nous serions tous les sept. Au fil de tes appels, l'érable du voisin rougissait. Ton dernier appel a été à la fin d'octobre. Je n'ai jamais vu l'arbre dénudé de ses feuilles. Cette fois-là, je n'ai pas pensé à aller m'asseoir à la fenêtre du salon. Il était quatre heures du matin. J'ai très bien entendu tes premières paroles. Paul ne serait plus là pour Noël.

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On pourrait se dire: à quoi bon continuer, la courbe ne rejoindra jamais l'axe. Moi je dis: on s'en fout. Alors, faute de mieux, je tends vers.